Les sages sous influence ?


© ADLTF & ODM juin 2018

Le 25 juin 2018– Lutte contre le changement climatique, l’évasion fiscale ou encore l’accaparement des terres : autant de réformes censurées, vidées de leur substance ou avortées ces dernières années, suite à des avis et décisions du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, rendus au nom de la défense des droits de propriété et de la liberté des entreprises. Les Amis de la Terre France et l’Observatoire des multinationales publient aujourd’hui un rapport d’enquête sur les coulisses de ces décisions et le lobbying qui s’exerce sur ces deux institutions en toute opacité : « Les Sages sous influence ? Le lobbying auprès du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État » (1). A cette occasion, les Amis de la Terre saisissent le Conseil constitutionnel d’une demande formelle de révision de sa procédure de contrôle de constitutionnalité (2).

Vidée ? d’une… partie (significative) de sa substance !!! Il reste tout de même un petit quelque chose.

Nous présentons -et apportons une légère critique ainsi qu’un complément ci-après- à ce nouveau et excellent rapport qui s’ouvre sur le chapitre « Comment la loi Hulot a été vidée de sa substance« , extraits :

L’avis rendu par le Conseil d’État le 1er septembre 2017 sur le projet de loi Hulot a joué un rôle décisif pour tuer dans l’œuf ses dispositions les plus ambitieuses…

Le gouvernement a choisi de faire comme si cet avis consultatif, rendu avant l’examen du projet de loi au Parlement, avait valeur d’oracle…

Les données du tout nouveau registre français de transparence des représentants d’intérêts, créé par la loi Sapin 2, confirment que de nombreux acteurs économiques se sont mobilisés pour porter le même message auprès des ministères et des parlementaires…

Selon nos informations, l’Union française des industries pétrolières et le Medef ont également fait passer le même message au Conseil d’État, à travers des « contributions extérieures » adressées à cette institution au moment où elle examinait le projet de loi présenté par Nicolas Hulot…

Voir l’ensemble du dossier législatif de la loi Hulot ici ainsi que l’avis du CE .

Le rapport s’accompagne d’une lettre des Amis de la Terre France au Conseil Constitutionnel en date du 22 juin 2018 :

Demande d’adoption d’un règlement intérieur sur le fondement de l’article 56 de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Extraits :

Méconnue, la faculté d’adresser des « contributions extérieures » dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori reste principalement utilisée par des groupes d’intérêts privés…

De nombreuses « portes étroites » sont simplement signées par des cabinets d’avocats d’affaire ou des constitutionnalistes, sans que cela ne permette de connaître le ou les commanditaire(s) réels de ces contributions. Surtout, notre association – et bien d’autres – se heurtent actuellement à de véritables difficultés découlant de l’absence de règlement intérieur du Conseil Constitutionnel…

Cette absence de règlement intérieur participe d’une opacité dommageable au bon exercice de la démocratie.

Rappels :

« Mettre fin aux énergies fossiles » ? Décryptage de la loi Hulot. Amis de la Terre France, Attac France, 350.org et le collectif du Pays Fertois “Non au pétrole de schiste” (77). 11 septembre 2017. Extrait :

La première version du projet de loi, soumise au CNTE pour avis le 23 août 2017, présentait déjà des lacunes importantes. Et la version transmise mercredi 6 septembre 2017 à l’Assemblée nationale, très fortement modifiée suite à l’avis du Conseil d’Etat, comporte de nouveaux reculs (2).

(2) La nouvelle version du projet de loi ainsi que l’avis du Conseil d’Etat sont disponibles ici.

Sécurité juridique : un bon principe détourné au mépris de l’environnement et de la démocratie. Gabriel Ullmann. Actu-Envir 2 mai 2018. Extrait :

Le principe de sécurité juridique, qui a valeur constitutionnelle, « constitue l’un des fondements de l’Etat de droit », comme l’a rappelé le Conseil d’Etat qui le décline par la qualité et par la prévisibilité de la loi. Ainsi, la sécurité juridique « implique que les citoyens soient en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles » (Note : défini par le Conseil d’État dans son rapport public 2006). Ces deux garanties sont pourtant constamment mises à mal au nom même de ce principe, tant il est dévoyé.

Nous sommes rassurés de voir notre attachement à la transparence partagé.

Mentionnons aussi que si ce rapport indique bien que les parlementaires n’ont pas saisi les sages de l’aile Montpensier du Palais Royal. Il est toujours possible qu’un pétitionnaire, titulaire ou concessionnaire le fasse à l’occasion d’un contentieux  via une QPC… voir ici.

 

Le passage suivant du rapport du 25 juin dernier des ADLTF & de l’ODM comporte à notre avis un léger défaut d’analyse :

De plus, l’État a été sommé de traiter les dizaines de demandes en attente, que la ministre de l’Environnement précédente avait laissé en suspens. De sorte que le premier effet concret de la loi Hulot aura paradoxalement été… la publication d’une douzaine d’arrêtés prolongeant des permis dormants et octroyant de nouvelles concessions d’hydrocarbures.

En effet le point 20 ci-dessous de l’avis du Conseil d’État ne « somme » pas l’État mais l’encourage. Formulation administrative certes qui recouvre une réalité plus impérieuse, mais néanmoins loin des injonctions des juridictions administratives, voir plus bas.
La mention à la seule prédécesseure de Nicolas Hulot est partiale car le choix politique de ne pas signer les projets d’arrêtés issus de la procédure d’instruction des demandes, date de Nicole Bricq en juin 2012. Laquelle n’a pas pu eu le temps de mettre en œuvre ce choix, puis de Delphine Batho et enfin de Philippe Martin, avant Ségolène Royal. Le « stock » -réel- est donc l’accumulation de toutes ces non décisions pour certains… assumées !
Nous avons analysé les premières mesures d’application de la loi « Hulot » ici, en détaillant le communiqué ministériel du 1er février. Il nous semble que d’autres mesures que « …la publication d’une douzaine d’arrêtés… » ont été prises au 31 janvier dernier, ainsi que d’autres depuis.
Surtout ce que n’évoque pas ce paragraphe du rapport sont les « décisions passées en forces de chose jugée » et les astreintes pécuniaires afférentes… ainsi que le choix certes discutable -au regard de l’article 3 du décret 2006-648- mais conforme au passage « …à prévoir, sans qu’il soit besoin que le projet de loi le précise à ce stade, des mesures de nature à accélérer l’instruction de ces dossiers… » de l’extrait ci-dessous ; les lettres de confirmation des décisions implicites de rejet des 40+2 demandes d’octroi encore instruites lors du dépôt du projet de loi.
A titre d’exemple deux signées Hulot/Lemaire du 31 janvier 2018, sont téléchargeables ci-après :
.D_Broussy_Octroi_L-MTES-Investaq-ConfirmeRejetImplicite_20183101
.D_GM-Shelf_Octroi_L-MTES-Hardman-ConfirmeRejetImplicite_20183101
et, pour mémoire, une signée Ségolène Royal :
.D_Champcenest_Octroi_L-MEEM-SanLeonEnergyPlc-ConfirmeRejetImplicite_20160301

Bien entendu l’impact environnemental du rejet de 42+2 demandes initiales de permis et de concessions -en concurrence-, ainsi que de 4 prolongations de permis*, n’est pas le même que l’accord de 16 prolongations et/ou mutations de permis et de concessions…
Toujours ce scélérat article 58 du décret ci-dessus !

* « PER577 Foix » ;
P_Foix_Prolong1_AIMrejet_20180208

notifié le 27 mars 2018 fin du délai de recours mi août 2018.
Les signataires sont allés contre l’avis du «GT RR&SR» du CGEiet :
« …Vu l’avis défavorable au refus des demandes de prolongation du CGEiet en date du 16 novembre 2017… »
Filiale de Vermillon, l’opérateur poursuit avec d’autres permis et concessions…

« PER581 Bleue Lorraine Sud » ;
P_BleueLorraineSud_Prolong1_AIMrejet_20171229
notifié le 1er mars 2018 fin du délai de recours mi juillet 2018.
Les signataires sont allés contre l’avis du «GT RR&SR» du CGEiet :
« …Vu l’avis favorable à la prolongation exceptionnelle du CGEiet en date du 19 mars 2015… »
La réduction des titres de La Française de l’Énergie, se poursuit… à quand le recours, comme pour Gaz de Gardanne ?

« PER590 Lons-le-Saunier » ;
P_LonsLeSaunier_Prolong1_AIMrejet_20180208
notifié le 29 mars 2018 fin du délai de recours mi août 2018.
Les signataires sont allés contre l’avis du «GT RR&SR» du CGEiet :
« …Vu l’avis favorable à la prolongation du CGEiet en date du 3 juillet 2014… »
La réduction des titres de La Française de l’Énergie, se poursuit… à quand le recours, comme pour Gaz de Gardanne ?

« PER621 Plaines du Languedoc » ;
P_PlainesDuLanguedoc_Prolong1_AIMrejet_20171229
notifié le 9 février 2018 fin du délai de recours fin juin 2018.
Les signataires sont allés contre l’avis du «GT RR&SR» du CGEiet :
« …Vu l’avis du CGEiet en date du 16 novembre 2017… »
IPC ex Lundin Int. qui a probablement « échangé » PdL contre « Est Champagne », suite à la décision du TA51 n°1601600 et 1701803 du 25 janvier 2018, ci-après :

DECIDE
Article 1er : Les productions enregistrées sous le n°1701803 seront rayées du registre du greffe du tribunal pour être jointes à la requête n°1601600.
Article 2 : L’arrêté du 15 mars 2017 par lequel la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer a refusé de prolonger le permis exclusif de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux accordé à la société IPC Petroleum France, anciennement dénommée société Lundin International, et la décision implicite de rejet du recours gracieux dirigé contre cet arrêté sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de la transition écologique et solidaire de délivrer à la société IPC Petroleum France, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, une prolongation du permis « permis Est Champagne » pour une période de cinq ans.
Article 4 : Une astreinte de 500 euros par jour de retard est prononcée en cas de non respect du délai de délivrance de la prolongation fixé par l’article 3 du présent jugement.
Article 5 : L’Etat versera à la société IPC Petroleum France la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : le présent jugement sera notifié à la société IPC Petroleum France et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Nous ignorons pour l’instant, si l’État a fait appel.

Ces quatre avis du CGEeit concentrent le principe tout à fait exorbitant de prolongation de droit de la validité d’un titre minier de recherche même si le titulaire n’a pas conduit sa démarche exploratoire ni maintenu ses capacités techniques et financières. Principe largement constaté depuis presque trente ans.*
Qu’Hulot se soit, sur ces quatre là et d’autres à venir, opposé aux « X Mines » qui tiennent le CGEeit, nous semble nouveau, depuis les efforts de Martin qui lui ont -en partie**- coûté son poste, et surtout significatif. Notons pour être exhaustifs qu’hors la situation de LFDE, ces quatre rejets étaient un peu « faciles » ces permis ayant été « combattus » localement avec force et les titulaires ont pu céder là afin de poursuivre ailleurs. Ce qu’Hulot n’a jamais caché ; « …on va négocier… » !

* Depuis la relance de l’attractivité de l’hypothétique potentiel supposé du sous-sol français en ressources hydrocarbonées mi 90′. Ce principe a donc conforté la position de l’administration centrale en charge de ces dossiers et les actifs des sociétés pétitionnaires et titulaires de titres miniers d’hydrocarbures. A t-il servi les réels intérêts de l’État en la matière ? Pas sur, pas sur du tout !

** Martin est arrivé à l’hôtel de Roquelaure se sachant sur un siège éjectable, voir : « Insoumise », Delphine Batho, Grasset octobre 2014. Extrait p.231 « …Je connait déjà le nom de vos successeurs.. ». Sur l’emprise de la prédécesseure d’Hulot sur l’ancien président de la République voir Exclusif Ségolène, François et les autres… L’Obs, 21 mai 2007.

20. Par ailleurs, le Conseil d’Etat encourage le Gouvernement à apurer, dans les meilleurs délais, le stock anormalement élevé de demandes d’octroi de permis de recherches ou de prolongation d’un permis précédemment octroyé encore en souffrance à ce jour(3). Il ne peut que l’inciter à prévoir, sans qu’il soit besoin que le projet de loi le précise à ce stade, des mesures de nature à accélérer l’instruction de ces dossiers et, si besoin, à atténuer au cas par cas les effets de l’intervention de la loi nouvelle, consistant soit en des mesures transitoires plus substantielles, soit en des possibilités de dérogation pendant la durée qui serait jugée nécessaire.

(3) A la date du 1er juillet 2015, étaient recensées 129 demandes initiales de permis de recherches en instance. 3 demandes avaient été enregistrées entre 2000 et 2007, 7 en 2008, 25 en 2009, 33 en 2010, 20 en 2011, 4 en 2012, 16 en 2013, 16 en 2014 et 5 en 2015.
Source :  Rapport conjoint du Conseil général de l’environnement et du développement durable et du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, rendu public en juillet 2015.

 

Enfin ce que ne souligne pas ce rapport c’est que la méthode employée par l’actuel exécutif pour faire passer ses projets de loi au parlement en les amendant à sa guise et principalement via l’instrumentalisation des rapporteurs, conduit parfois à des dispositions rajoutées d’une portée significative non évaluée par l’étude d’impact forcément antérieure…
Mais lorsque l’on dispose d’une telle hégémonie à l’Assemblée…

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