L’environnement… dans la Constitution, vers du concret, ou ?


« …La République « agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques », selon les termes de l’amendement des rapporteurs, du groupe LREM et de non-inscrits adopté en première lecture, par 65 voix contre 3, et 4 abstentions. Ce nouvel objectif doit figurer aux côtés des autres principes fondateurs de la République (égalité, laïcité…)… » Extrait de la dépêche AFP de ce jour à 14:01……….

A jour le 16 juillet 2018 à 16h45.

—–16 juillet 2018
Me Arnaud Gossement publie le 13 juillet dernier «  Constitution : treize ans après la Charte de l’environnement, les députés proposent de créer une nouvelle référence à la préservation de l’environnement à l’article 1er de la Constitution de 1958 « . Extraits :

Symbolique, cette phrase présente cependant plusieurs inconvénients et s’avère en retrait par rapport au droit de l’environnement existant, notamment, par rapport à la Charte de l’environnement adossée en 2005 à la Constitution de 1958…
Le fractionnement de la notion d’environnement…
L’environnement réduit à sa préservation…
L’action contre les changements climatiques ramenée à une obligation de moyen…
La question du contenu de l’objectif d’action contre les changements climatiques…
La création d’une dissymétrie entre la Constitution et le code de l’environnement…
Une référence redondante à la diversité biologique…
Le rejet de l’amendement relatif au principe de non régression…
En conclusion et à notre sens, il est regrettable que ces débats parlementaires sur la révision de la Constitution n’aient pas été précédés d’une expertise juridique rigoureuse et contradictoire. Laquelle aurait permis d’éclairer les travaux des députés, de faire le bilan de l’application de la Charte de l’environnement et d’évaluer la portée, notamment jurisprudentielle, de ces nouvelles dispositions. L’urgence n’est pas de voter de nouvelles normes mais d’appliquer et de simplifier celles existantes.—–

Rappelons ici que l’écrasante majorité présidentielle et ses alliés à l’Assemblée nationale lui donne, compte tenu du fonctionnement du Parlement, le dernier mot sur ce projet de loi quel que sera le texte issu du Sénat… Il est donc très probable que ce qui vient d’être voté soit la version adoptée in fine.

Du principe à sa mise en œuvre… pratique !

Comment cette inscription à l’article 1 de la Constitution de ces actions de préservation de l’ « …l’environnement, la diversité biologique et les changements climatiques… » va t-elle influer sur les activités d’exploration et d’exploitation des titres miniers d’hydrocarbures dont les impacts négatifs directs ou indirects sur -entre autres- ces trois aspects, sont avérés ?
La difficulté juridique majeure sont les droits acquis issus du cadre législatif et réglementaire antérieur et qui s’appliquent toujours aux permis et concessions en cours de validité. Si l’actuel exécutif qui n’a pas tenu les délais de son annonce d’il y a un an d’une réforme du code minier -l’arlésienne de la « politique » minière (et pétrogazière) française- si attelait, il faudrait de nouvelles dispositions législatives audacieuses issues d’une volonté politique forte au plus haut niveau, à ce jour peu manifestée sur le sujet, pour réduire significativement l’impact environnemental des activités E&P en France. Activités dont l’erre pourrait donc se poursuivre, à partir des titres miniers en cours de validité, encore des… décennies ! Pourtant l’urgence climatique s’étale tous les jours dans les médias avec, partout sur le globe, ses terribles drames liés aux événements météorologiques extrêmes et leurs conséquences désastreuses. Dernièrement plus de deux cent morts et encore des dizaines de disparus au Japon. Combien de temps encore la protection outrancière des « droits acquis » va t-elle primer sur l’impérieuse nécessité d’une audace politique en rupture avec le ronron de la chimérique croissance ?
L’opposition de toujours entre les légitimités morale des opposants à ces activités extractives invasives et légale de l’exécutif devient paradoxalement plus aiguë…

Rappelons ici :

larticle 5 de la charte de l’Environnement de 2004 :

« …Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage… »

Ainsi que les principes généraux du code l’environnement établis par son article L110-1, extraits :

I. – Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage…

II. – Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu’ils fournissent sont d’intérêt général et concourent à l’objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s’inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :

1° Le principe de précaution…
2° Le principe d’action préventive et de correction…
3° Le principe pollueur-payeur…
4° Le principe selon lequel toute personne a le droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques ;
5° Le principe de participation…
6° Le principe de solidarité écologique…
7° Le principe de l’utilisation durable…
8° Le principe de complémentarité entre l’environnement, l’agriculture, l’aquaculture et la gestion durable des forêts…
9° Le principe de non-régression…

III. – L’objectif de développement durable, tel qu’indiqué au II est recherché, de façon concomitante et cohérente, grâce aux cinq engagements suivants :
1° La lutte contre le changement climatique ;
2° La préservation de la biodiversité, des milieux, des ressources ainsi que la sauvegarde des services qu’ils fournissent et des usages qui s’y rattachent ;
3° La cohésion sociale et la solidarité entre les territoires et les générations ;
4° L’épanouissement de tous les êtres humains ;
5° La transition vers une économie circulaire…

Il nous semble bien que cette toute nouvelle évolution des principes de la République*, renforçant l’article 5 et déjà -en partie présente- dans l’article L110-1 , devrait conduire -compte tenu notamment de la procédure juridique de ce permis de recherches- à une réponse négative de l’autorité administrative à la DOT « sismique » sur Claracq.
* évolution très bientôt gravée dans le marbre de la Constitution.

 

Autour du débat parlementaire

Le projet de loi constitutionnelle « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » à été enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 mai 2018. Son article 2 prévoyait « …Au quinzième alinéa de l’article 34 de la Constitution, après le mot : « environnement » sont insérés les mots : « et de l’action contre les changements climatiques »… ».

Le 3 mai l’avis du Conseil d’État, saisi le 6 avril, était quelque peu critique sur certains aspects. Son avis sur l’article 2 « …12. Le projet complète l’article 34 de la Constitution en inscrivant « la lutte contre les changements climatiques » au nombre des matières dont la loi détermine les principes fondamentaux.

Le Conseil d’État observe que cette disposition aura sans doute peu d’incidence sur les compétences respectives du législateur et du pouvoir réglementaire, qui sont l’objet de l’article 34 de la Constitution. Il la retient cependant, eu égard au caractère primordial de l’action contre les changements climatiques et à l’intérêt qui s’attache à ce que ses principes fondamentaux soient décidés par la représentation nationale, le Conseil d’État. Il propose cependant d’en modifier la rédaction et de mentionner à l’article 34 de la Constitution « l’action contre les changements climatiques »… ».

 

Le débat parlementaire à l’AN n’a laissé -comme à l’habitude de l’actuelle majorité et de ses alliés depuis le début de la 15ème législature- que peu de place aux amendements de l’opposition. Par ailleurs de nombreuses voix de la société civile au sens large se sont régulièrement élevées pour réclamer cette « avancée ».

Voir le dossier législatif

Le 12 juillet 2018 à 19h30 pour la dernière d’Arnaud Ardouin à l’animation du plateau de Ça vous regarde la chaine parlementaire intitulait ces 59 minutes de débat ; Nicolas Hulot : rester c’est renoncer ?.
Les invités…
- Eric Alauzet, député La République en marche du Doubs ;
- Delphine Batho, députée non inscrite des Deux-Sèvres, (future) présidente de Génération écologie ;
- Xavier Breton, député Les Républicains de l’Ain ;
- Hervé Kempf, rédacteur en chef de Reporterre ;
…ont apporté à ce thème des éclairages de très haute qualité. Visionnage et écoute très recommandés.

Le 11 juillet dernier, la commission de l’ATDD du Sénat a organisé une table ronde relative à l’inscription des enjeux climatiques et environnementaux dans la Constitution, autour de :
- Michel Prieur, professeur émérite à l’université de Limoges, président du Centre international de droit comparé de l’environnement (CIDE) ;
- Didier Maus, ancien conseiller d’État, professeur de droit constitutionnel (Aix Marseille Université), éditorialiste à atlantico.fr ;
- Yann Aguila, conseiller d’État, avocat à la cour, président de la Commission Environnement du Club des juristes ;
- Dominique Bourg, professeur à l’université de Lausanne, président du conseil scientifique de la fondation pour la Nature et l’Homme, (FNH).
Voir :
le compte-rendu, extraits :

« …M. Michel Prieur… En conclusion, je voudrais me référer au rapport que Simone Veil a fait, à la demande du président Sarkozy, sur le préambule de la Constitution en 2008. Elle constatait qu’il ne pouvait pas y avoir de recul des droits fondamentaux : « L’acte constituant répond toujours à la volonté d’établir un nouveau standard, forcément plus élevé que le précédent. » Écoutons ces paroles pleines de sagesse et évitons un recul de l’environnement pour les générations présentes et futures ! »

« …M. Didier Maus… faut-il modifier la Charte de l’environnement ? … Pourquoi pas ?… Il existe un texte constitutionnel sur l’environnement, pourquoi ne pas simplement le compléter ? »

« …M. Yann Aguila… cette crise écologique n’est pas une crise comme les autres. Elle est incomparable parce qu’elle met en cause les conditions mêmes de survie de l’humanité. Le constituant a donc là une responsabilité, et il s’honorerait en inscrivant à l’article 1er le niveau élevé de protection de l’environnement, qui figure dans les traités européens – il y aurait une heureuse convergence entre notre Constitution et les principes reconnus en Europe -, et le climat. L’Accord de Paris a mis la France sur le devant de la scène internationale. »

« …M. Dominique Bourg… Le problème ne vient pas du fait que le principe de précaution est trop appliqué. C’est l’inverse ! Pourquoi n’a-t-il pas été appliqué dans l’affaire du chlordécone ou des néonicotinoïdes ? On sait depuis les années quatre-vingt-dix que ces pesticides sont en cause. Le problème serait plutôt de l’appliquer plus souvent et non pas de le restreindre encore davantage. »

et la vidéo ;
sur le site du Sénat.
Là encore nous ne pouvons que vous inviter à consacrer un peu de temps à ces débats.

 

Le contexte

Après le changement de pied de l’exécutif sur Notre Dame des Landes mi janvier dernier, -deuxième « victoire » du ministre d’État après la loi « hydrocarbures » de fin 2017- Nicolas Hulot a perdu plusieurs arbitrages et était en difficulté au point où il a annoncé mi mai dernier qu’il « …ferait le point à l’été… ». L’exécutif l’a bien senti et l’a soutenu en introduisant opportunément l’amendement porté par le rapporteur général du texte et chef des marcheurs à l’AN, Richard Ferrand en personne, qui aurait déclaré selon l’AFP (que ce texte constituait) « …une avancée politique et symbolique majeure… », le message est fort mais le terme symbolique interpelle ; tout ça pour ça ? Où est, entre autres, le principe de « non régression » ? Plus simplement où voit-on, au quotidien, la large application des principes de l’article L110-1 -voir ci-dessus- de précaution ainsi que d’action préventive et de correction, ce dernier une des bases de la loi de 2011 ayant conduit à l’interdiction de la fracturation hydrochimique et à l’abrogation de permis.

Reporterre a mis en ligne un « huloscope » et publié plusieurs articles dont Pour une Constitution vraiment écologique. Valérie Cabanes. Reporterre. 9 juillet 2018.

« …Mais pour que cet Article 1er soit véritablement contraignant et donc efficace, il y manque encore plusieurs points essentiels. Nicolas Hulot a proposé sans obtenir de consensus au sein du gouvernement d’y inscrire le principe de finitude des ressources par exemple… »

De nombreux éditoriaux ont pointé les décalages entre les annonces et certaines décisions de l’exécutif, un des derniers est la tribune de Sylvie Brunel* publiée le 2 juillet par Le Monde où la géographe estime que le ministre se heurte au principe de réalité « Nicolas Hulot n’a pas cessé de se renier », extraits ;

« …A chaque fois qu’il s’est indigné de la situation écologique, les deux têtes de l’exécutif le lui ont rappelé en privé. Bien sûr, Nicolas Hulot n’a cessé de se renier depuis qu’il est entré dans ce gouvernement. Son action depuis un an n’est qu’une suite de défaites successives, de silences coupables, de pilules amères…
Il s’est ainsi attiré la colère autant du secteur productif, pénalisé par des décisions qui donnent trop souvent le sentiment d’être impulsives et irréfléchies quant à leurs conséquences sur le long terme, mais aussi les fureurs des mouvements écologistes, hurlant d’autant plus à la trahison et au reniement qu’ils n’ont jamais beaucoup aimé cette personnalité médiatique adulée des Français, comme Cousteau ou Tazieff avant lui. Se voulant pure et dure, l’écologie politique a toujours haï le vedettariat. Pour l’effigie de l’écologie médiatique, la planche était savonnée d’avance…
S’il est bien une règle lorsqu’on exerce le pouvoir, c’est le principe de réalité…
Chaque fois que M. Hulot est prêt à exprimer une indignation écologique, M. Macron ou M. Philippe lui rappellent en privé le principe de réalité. Il en résulte des compromis et des tractations successives, le nucléaire préservé contre l’abandon programmé du diesel, Notre-Dame-des-Landes abandonnée contre le maintien de Bure ou du glyphosate, dont l’interdiction aurait eu des
conséquences désastreuses pour l’agriculture française, déjà soumise à de multiples distorsions de concurrence. Le compromis boiteux tiendra jusqu’à l’occasion qui fournira une sortie glorieuse… »

* Géographe et écrivain, professeur à Paris-La Sorbonne.

Pourtant à l’occasion des débats cela avait mal commencé, comme l’analyse Arnaud Gossement, avocat spécialiste en droit de l’environnement et docteur en droit dans Actu-Envir le 22 juin 2018 ; La phrase que Nicolas Hulot souhaite inscrire dans la Constitution est-elle un « aimable baratin » ? Extraits :

« …Le droit de l’environnement souffre de l’accumulation de dispositions purement déclaratives qui s’apparentent à du bavardage…
Or, depuis le début de ce débat sur la référence au changement climatique dans la Constitution, tout se passe comme si la Charte de l’environnement n’existait plus…
L’urgence est bien de s’interroger sur les motifs pour lesquelles la Charte de l’environnement ne s’est pas davantage déployée, notamment dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat.
L’urgence est aussi d’anticiper et d’appliquer sérieusement le droit de l’Union européenne qui est bien la matrice première du droit de l’environnement avant même le droit constitutionnel. »

 

La pression a, semble t-il, porté ses fruits… législatifs, mais qu’est-ce qui va être concrètement et durablement appliqué ?

 

Voir

« Introduire les enjeux climatiques et environnementaux dans la Constitution est une fake news ! ». Brigitte Menguy. La Gazette (des communes). 12 juillet 2018.
« …(Pour) Michel Prieur, professeur émérite à l’Université de Limoges « ajouter des dispositions environnementales dans la Constitution en 2018 s’impose d’abord pour des raisons scientifiques. On ne peut pas ignorer la crise climatique et la perte de la biodiversité que nous vivons actuellement ». Cet ancien professeur de droit a même repris la célèbre formule chiraquienne « la maison continue de brûler et on continue de regarder ailleurs »… »

Les députés inscrivent climat et biodiversité à l’article  1 de la Constitution. Simon Roger et Alexandre Lemarié. Le Monde. 28 juin 2018.
« …Cette reconnaissance de l’enjeu environnemental est une victoire politique pour Nicolas Hulot, après plusieurs arbitrages perdus. Le 20 juin, le ministre de la transition écologique et solidaire s’était félicité de la volonté de l’exécutif de faire figurer « environnement, climat et biodiversité » dans l’article premier de la Constitution, et non dans l’article 34, comme l’avait proposé le premier ministre en avril…. »

Avec Macron et Hulot, « nous sommes entrés dans une ère de régression » de la politique d’environnement. Tribune, Corinne Lepage, Reporterre 31 mai 2018
« …Le plus grave tient sans doute aux atteintes multiples portées au droit de l’environnement, qui devient dans bien des cas une option et non une obligation. Au nom de l’expérimentation, il est désormais possible de s’affranchir des normes environnementales ; les études d’impact sont réduites à leur plus simple expression, la rubrique des installations classées soumises à autorisation se réduit comme une peau de chagrin au bénéfice d’installations soumises à une simple déclaration voire à rien.
Et la démocratie environnementale s’est perdue dans les sables mouvants d’une réforme constitutionnelle dans laquelle la troisième chambre, qui aurait dû être celle du long terme avec les droits de veto indispensables, va rester un accessoire peut-être même dangereux si la réforme prétend la substituer à toutes les autres expressions de la société civile.
Un quinquennat dure cinq ans. Il reste quatre ans pour changer de braquet, de direction et de sens… »

Dès fin 2017 l’association Notre affaire à tous, a lancé un Appel pour une Constitution écologique.

 

Et maintenant ?

.

Cette entrée a été publiée dans Climat, Gouvernance Economie, Juridique, Législatif et réglementaire, avec comme mot(s)-clef(s) , , , , , , , , , , , , , , . Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Les commentaires sont fermés.